Atelier Lacourière & Frélaut
Cimaise Atelier Lacourière & Frélaut
La Galerie Michelle Champetier est heureuse de vous présenter
« Atelier Lacourière & Frélaut »
Disparu en 2008, dix cimaises virtuelles pour ici rendre hommage au célèbre Atelier Lacourière & Frélaut, imprimeur et éditeur à Paris, créé en 1929 - par Roger Lacourière et repris en 1957 par Jacques Frélaut (son ancien principal collaborateur) - et qui sera au fil de huit décennies un véritable sanctuaire de la gravure du XXè siècle. Les plus grands artistes travaillèrent dans cet atelier (Braque, Chagall, Picasso, Derain, Miro, Masson et tant d'autres) et leurs noms sont pour toujours indissociables de ces artisans d'exceptions. Picasso, initié par Roger Lacourière, en 1933, au burin et à l'aquatinte au sucre, y créera « La Suite Vollard ». Que de merveilles, gravures et livres de bibliophilie, sortirent des presses du 11 de la rue Foyatier, niché sur la Butte Montmartre, au pied même du Sacré-Coeur!
Atelier d'impression en taille-douce, l'Atelier Lacourière & Frélaut a contribué, en favorisant une étroite collaboration des créateurs avec les praticiens, au renouveau de la gravure dans la seconde moitié du XXe siècle et au développement de la gravure dans l'œuvre d'un grand nombre d'artistes. Un excellent documentaire de 20 minutes du cinéaste Jean Grémillon, réalisé en 1955, évoque « La Maison des images », c'est-à-dire le cadre et l'activité des fameux ateliers de gravure en taille-douce juchés dans un nid de verdure au flanc de Montmartre. Après avoir dirigé un temps les éditions de la Roseraie, maison d'édition fondée par sa soeur, et publié notamment le « Cendrillon » de Jules Pascin, le maître imprimeur et graveur Roger Lacourière occupera à partir de 1929 le rez-de-chaussée d'une bâtisse, l'ancien « Panorama de Jérusalem », curieuse survivance de l'exposition 1900, demeurée parmi les arbres en haut de la rue-escalier Foyatier qui mène au pied du Sacré-Coeur.
Roger Lacourière est né en 1892, fils et petit-fils de graveur. Son père et son grand-père, en un temps où les procédés mécaniques de reproduction n'existaient pas encore, pratiquaient la gravure de reproduction et travaillaient pour des périodiques dont ils assuraient l'illustration. Il apprit fort jeune le métier et ses secrets. Après son service militaire, puis la guerre, après plusieurs expériences à l'étranger (notamment au Gabon), puis un premier pied dans le monde de l'art (Editions de la Roseraie), Roger Lacourière va laisser s'épanouir le goût qu'il a pour le métier le plus méticuleux et le plus précis sur quelques centimètres carrés de métal. Sa déjà parfaite connaissance de la gravure, il la mettra aussitôt au service des artistes, non, bien sûr, dans la conception de leurs oeuvres, mais dans la réalisation matérielle, concrète, à la fois délicate et précise, vigoureuse et sensible. Roger Lacourière se voulait artisan et non artiste, et considérait la technique comme son domaine.
Dans la réalité, le long chemin qui va de la plaque de métal vierge à l'épreuve définitive est le plus souvent parcouru dans la plus étroite collaboration entre l'artiste et l'imprimeur. Il appartient en effet à ce dernier d'aider l'artiste à tenir le souffle de la création dans le cadre étroit de l'estampe, soumis aux impératifs rigoureux de la technique. Au cours de multiples étapes, l'exigence du créateur sollicite l'esprit et la main de l'artisan, l'obligeant souvent à trouver une solution nouvelle à un nouveau problème. Roger Lacourière considérait ne pouvoir exister que dans le plus profond respect de l'artiste.
Les débuts de l'Atelier Lacourière furent tout de suite prometteurs, et les plus grands artistes de l'époque se retrouvèrent à la butte Montmartre, amenant avec eux des éditeurs comme Vollard (présenté par Picasso) et Skira (à partir des planches de Matisse pour « Les poésies de Mallarmé »). Dans les dix années qui précédèrent la guerre, les planches de 25 ouvrages, et non des moindres, sortirent des presse de l'atelier. Picasso gravait la série des cent planches, connue aujourd'hui sous le nom de « Suite Vollard », dont le tirage commença en 1936. Vollard amena Rouault à l'atelier et, en deux ans, sortirent des presses trois ouvrages d'importance : « Le cirque de l'Etoile Filante », « La Passion » et « Les Fleurs du Mal ». De plus en plus de peintres, d'illustrateurs, de graveurs franchissaient la porte de l'atelier, attirés par une réputation qui allait grandissante. En 1941, Picasso, trouvant l'atelier « en panne », apporta de nombreux cuivres pour lui permettre de survivre. De la guerre, date le « Pantagruel », publié par Skira et merveilleusement illustré par André Derain dans le style des cartiers d'autrefois. Signalons à ce sujet qu'il s'agit là de l'une des trois exceptions - avec un Chagall et un Miro - à la taille-douce traditionnelle dans la maison. Les illustrations de « Pantagruel » sont en effet des bois, colorés à la main et dont l'impression nécessita trois ans de travail. D'autres vinrent encore, régulièrement : Joan Miro, Dunoyer de Ségonzac, Braque, Sonia Delaunay, André Masson. Il n'est pas place ici de citer tous les livres (plus de 200) qui sont passés par les presses de l'atelier et tous les artistes qui le fréquentèrent.
Outre les planches d'illustration, l'atelier a de tout temps, assuré l'impression d'estampes pour le compte de marchands ou d'éditeurs. En 1951, l'épouse de Roger Lacourière, Madeleine, créera ses propres éditions d'estampes originales, demandant des planches aussi bien aux artistes dont la réputation n'était plus à faire qu'à ceux, plus jeunes, dont elle sut déceler le talent et l'originalité.
Roger Lacourière ayant dû cesser ses activités, Jacques Frélaut prit sa succession en 1957, associé à son frère Robert (venu rejoindre l'atelier en 1955). Eux aussi ont été élevés dans le métier. Jean Frélaut, leur père, était l'artiste et le graveur que l'on sait. Rentré à Paris après la guerre, Jacques Frélaut ne tarda pas à devenir le plus proche collaborateur de Lacourière et son chef d'atelier en 1947. Roger Lacourière, toujours à la recherche d'une qualité de travail extrême, avait su créer une « atmosphère » dans laquelle artistes et artisans collaboraient étroitement. Jacques Frélaut sut merveilleusement la perpétuer.
La réputation de l'atelier Lacourière-Frélaut a, de loin, franchi les frontières et pendant des décennies la porte resta ouverte à chacun, au sens propre comme au sens figuré ; Picasso, passant par là un jour de 1930, ne découvrit-il pas l'atelier en apercevant des presses par le rectangle de cette porte laissée ouverte pour donner de la lumière aux ouvriers et de l'air aux vapeurs acides ?
Cette courte exposition virtuelle n'a pas la prétention d'être une référence sur le sujet, elle se veut simplement un hommage à un atelier d'exception, aujourd'hui disparu, dont tous les acteurs - patrons et collaborateurs - furent tournés vers des réalisations d'une qualité rare. Nombre d'oeuvres, gravures ou livres, resteront dans l'Histoire de l'Art ! Il nous plait de savoir que rien n'aurait été possible sans les mains expertes d'artisans passionnés de l'art d'une époque sans doute révolue.
Avant de conclure cette présentation, nous tenons ici à remercier très chaleureusement Madame Denise Frélaut sans laquelle ce désormais onzième volet de « Cimaises » aurait été impossible, à la fois pour son aide précieuse et pour son extrême gentillesse à nous confier des documents personnels.
Bonne visite!