Tapis de laine, signature brodée au verso, 1953.
A travers ce joyeux tapis de Calder de 1953, j'ai souhaité rendre hommage à l'éditrice Marie Cuttoli, une femme libre, extraordinairement énergique, à la fois discrète et déterminée, et avant tout à l'écoute de la création et de son intuition.
Fille d'un limonadier de Tulle et d'une mère au foyer, elle découvre Paris en 1895, à l'âge de 16 ans, quand son père décide de devenir représentant de commerce. Rien ne la destine à exercer une activité quelconque dans le monde de l'Art. Ni ses études (elle n'en fit pas), ni ses relations familiales ou le milieu dans lequel elle a grandi. Pourtant, très vite, elle visite les galeries qui exposent la peinture contemporaine d'alors. A 28 ans, elle épouse un monsieur dont elle divorce six ans plus tard, puis en secondes noces Paul Cuttoli, un brillant avocat, maire de Philippeville et sénateur en Algérie. Pour elle, il fait construire un splendide palais « Dar Meriem » qu'elle décore avec goût. Lors de ses séjours à Paris, elle fréquente les galeries d'avant-garde, s'offre des toiles de peintres inconnus : Braque, Picasso, Miro... Son mari la sermonne : « Tu perds ton temps avec ces barbouilleurs ! » En Algérie, elle s'intéresse à l'artisanat des habitants, découvre le travail des brodeuses de la Médina et rêve de monter une affaire. C'est chose faite en 1922 avec l'ouverture de la maison de couture Myrbor à Paris, dont elle oriente aussi l'activité vers la création de tapis sans décor réalisés dans les ateliers de la Médina et de Sétif. Tollé chez les mères des ouvrières, qui jugent l'absence de motifs néfaste pour l'imagination de leurs filles !
L'aventure Myrbor commence, et rapidement la création de tapis d'artistes prend le pas sur la couture. Des tapis de Jean Lurçat, Fernand Léger, Pablo Picasso, Louis Marcoussis... qu'elle présente avec leurs tableaux. En 1932, un jeune artiste y expose pour la première fois ses étranges sculptures mobiles : c'est Alexander Calder ! « C'est ignoble ! Vous abrutissez la jeunesse ! », éructe une visiteuse. Un peu plus tard, Marie Cuttoli décide aussi de relancer les ateliers d'Aubusson en plein déclin pour la réalisation de tapisseries contemporaines. A nouveau les artistes sont sollicités : Jean Lurçat au début, puis Fernand Léger, Georges Rouault, Pablo Picasso, Joan Miro, Henri Matisse, Louis Marcoussis, Raoul Dufy, Henri Laurens, et tant d'autres. 1936 est l'année de la consécration internationale, ses éditions de tapis et tapisseries sont exposées à New-York, le docteur Barnes en acquiert trois, la presse américaine est dithyrambique. Philadelphie, Cleveland, San Francisco, Los Angeles, Boston, Chicago, les musées américains réclament tous l'exposition des tapis et tapisseries, les musées européens ne sont pas en reste. Après la guerre, à l'âge de 70 ans, elle s'associe avec Lucie Weill qui dirige une galerie 6 rue Bonaparte. Les deux dames se lancent l'édition de tapis, tissés en Inde et en Afganistan à très peu d'exemplaires, auxquels Calder (avec ce tapis que nous présentons), Picasso, Arp, Miro, Nicholson, Ernst... apportent leur contribution. A la fin des années 60, elle fait donation des œuvres majeures de sa collection aux musées français et s'éteint le 23 mai 1973.