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Notre coup de coeur

J'ai pas la conscience tranquile

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Ben Vautier

J'ai pas la conscience tranquile

Coup de coeur Juin 2024

J’avais 17 ou 18 ans, fin des années 70, l’avenir semblait tout ouvert, à coup sûr il serait joyeux. Je déambulais dans les allées de la Foire Internationale de Nice au Palais des Expositions. Electroménager en vedette, gadgets inutiles en tous genres, tout ce qu’un intérieur peut accueillir de plus ou moins heureux. Et là-haut au milieu des balcons un espace bondé, foutraque et foisonnant, celui de Ben. Interloquée, je rencontrais Ben et Annie, si beaux, si extraordinairement beaux et gais. Leurs jeunes enfants, Eva et François (alias Cunégonde et Malabar) proposaient, contre une petite pièce, des sandwichs qu’ils avaient préparés. Ça riait fort, ça chahutait, ça philosophait, ça parlait d’art, ça s’emportait, je n’y comprenais rien. Un choc. D’un coup je me suis sentie vieille, intimidée et galvanisée.
Et puis, je les ai connus, fréquentés. Annie, adorable et fine, savait mettre à l’aise les visiteurs, elle était l’incarnation de la grâce. Ben, lui, m’effrayait un peu, il avait le verbe haut, le sens des formules parfois assassines, le goût de la controverse, sa vivacité d’esprit me sidérait. Et encore la maison délirante et colorée, aux façades recouvertes d’œuvres subversives, partout une atmosphère de brocante déjantée. Ben conduisait une estafette loufoque recouverte d’écritures multicolores, les passants stupéfaits la suivaient des yeux. Avouez qu’il y avait de quoi décoiffer une petite provinciale !

« Anniiiie ! », « Anniiiiie ! », « Anniiiiiiiiie ! ». Elle se rebiffait parfois Annie. Mais elle était toujours là, à classer et reclasser (car Ben avait la passion du classement, de l’archivage). Annie sa muse, sa conseillère, son poil à gratter, son cordon bleu, sa confidente, bref son pilier. Qui d’autre aurait pu canaliser ce trublion hyperactif, ses angoisses, ses colères, sa mauvaise foi légendaire ? Nous en plaisantions souvent elle et moi. Et parfois, quand nous avions fini de batailler lui et moi, des petits moments suspendus et miraculeux, il abandonnait les positions provocantes et me prodiguait quelques conseils sensibles, toujours justes.
Ce 5 juin 2024 Annie est partie. Partie ? Oh, non, Ben ne la laissera pas filer sans lui. « Anniiiiiie, attends-moi, j’arrive ! ». Oui, la perte immense est adoucie, nous les savons ensemble, c’est peut-être mieux ainsi.


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