Né à Culan, où il vit chez ses grands-parents jusqu’à l’adolescence,
Maurice Estève montre dès l’enfance un don certain pour l’expression
plastique. Ces années au cœur du monde rural et de la nature s’accordent
avec son tempérament recueilli et secret.
Lorsqu’il rejoint ses
parents à Paris en 1918, son père s’oppose violemment à sa vocation et
le met d’autorité en apprentissage. Est-ce cette furieuse hostilité
qu’il ne cesse de braver ou son enfance berrichonne, ou bien encore les
deux, qui ont façonné cette nature obstinée, rétive à tout égarement
dans la facilité ? De fait, rien n’a pu l‘éloigner de cette voie, qu’il a
empruntée avec ténacité.
Durant une vingtaine d’années, sa peinture s’achemine résolument vers cette abstraction flamboyante que nous lui connaissons.
Abstraction – Figuration, il en rit : « Figuratif »,
le suis-je ? Suis-je « abstrait » ? Vaines et futiles querelles de mots
innocents. Je suis un franc-tireur. Je ne me suis jamais accommodé des
appellations plus ou moins incontrôlées et des tiroirs dans lesquels on a
voulu m’enfermer. Je ne me sens pas solidaire des groupes auxquels on
m’a associé, par manque de lucidité à l’égard de mon travail. Quant à la
fameuse « École de Paris », dont j’ai entendu parler…je ne l’ai jamais
rencontrée. » (1974).
Chez Maurice Estève, chaque médium, -huile sur toile, aquarelle, dessin,
collage-, ouvre un monde singulier, ultime témoignage de recherches
incessantes pour traduire sa perception émotive et poétique du monde,
dans ses frémissements, ses oscillations.
Les dessins au fusain et
crayons de couleur n’y échappent pas. S’y déploient des opacités
crépusculaires et veloutées, transpercées de trouées lumineuses aux
couleurs tendres, des tensions se jouent dans un mélange de rigueur et
de subtilité. Il s’agit de sentir « les espaces du dedans ». « La
nature, j’y prête beaucoup d’attention, mais pas pour peindre. Je crois
que ce qui a été décisif a été enregistré par moi il y a très longtemps » dit-il. Mais aussi :
« Ce
qui m’anime, plus qu’une traduction plastique des apparences du monde
visible, c’est le désir de voir apparaître sous ma main ouvrière, une
relation avec ce que la prétendue réalité dissimule. Difficile
entreprise. Comment donner forme et lumière à ce qui n’a pas été
vu ?...Les aveugles et les peintres voient dans la nuit. »