Acrylique et collage d'une photographie sur un panneau de bois, 1975.
Loin de moi l’idée de m’exprimer sur l’œuvre ou même sur une œuvre de Ben. Il s’en charge lui-même.
Mais évoquer quelques souvenirs, ou ce qui en reste : je peux (???), bien sûr, en toute subjectivité !
Fin des années 70, j’étais toute jeune, très jeune. Ben et Annie formaient un couple magnifique. Elle, d’une beauté renversante, déployait une énergie phénoménale dans de grands éclats de rire. Lui avait gardé sa gueule d’ange. C’est pourtant sa formidable insolence qui a frappé la petite provinciale que j’étais. Une telle liberté de ton, non je n’y avais jamais été confrontée. Et je l’avoue, le personnage m’effrayait un peu.
La galerie dans laquelle je travaillais présentait ses œuvres et celles des Nouveaux Réalistes, mais aussi une multitude d’estampes de maîtres du XXème et d’artistes plus « aseptisés ». Une poignée d’amateurs avertis nous rendait visite, en quête de « pièces anciennes » d’Arman, Ben, César, . . . Cependant en 1980, l’écrasante majorité de nos visiteurs poussait encore la porte pour des acquisitions très sages. « Avez-vous des paysages de Saint-Tropez de Dunoyer de Segonzac ? » nous demandaient des collectionneurs locaux. Les américains : « Do you have early prints by Jacques Villon ? ». Les allemands nous quittaient chargés d’estampes et affiches de Picasso, Miro, Chagall ou Dali.
Chez Ben, tout me dépassait : la violence de ses saillies dans son rôle
de dynamiteur de l’art qui s’embourgeoise, ses happenings loufoques, son
humour féroce et hilarant, son égotisme affiché, tant et tant de
bourrasques dans ma petite tête. Les polémiques qu’il soulevait me
laissaient interloquée, à la fois ravie et craintive. Et encore sa
maison atelier, un chaos d’aspect délirant mais incroyablement organisé.
Des innombrables petits tiroirs d’archives qu’Annie tenait
scrupuleusement, Ben en connaissait le contenu, de chacun. Mais j’étais
avant tout étourdie et bluffée par sa capacité à tout embrasser à la
fois : son œuvre, ses innombrables expositions et déplacements à travers
l’Europe, les prises de paroles publiques, la masse de ses
publications, sa connaissance aiguë des avant-gardes, son soutien aux
jeunes artistes, son statut d’incubateur subversif, son flair à
percevoir l’époque et l’interroger.
Un jour, sans y prendre
garde, il m’a délivré un petit conseil, je l’ai gravé précieusement tout
au fond de ma mémoire : « La ligne que tu choisiras sera ton
identité. » ; il s’agissait alors d’éditions, j’en ai plutôt fait un
principe de vie.