Les Pensées de Pascal, Albert Gleizes, Jacques Klein

Panneau n°8
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Illustrer les « Pensées » de Pascal Comme Albert Gleizes le fera par la suite, notamment dans sa longue introduction au catalogue de l'exposition qui fut organisée autour de parution de l'ouvrage à Saint-Etienne (10 au 28 février 1951), le peintre livre les motivations profondes qui l'autorisèrent à tenter de relever l'énorme défi proposé par l'éditeur Jacques Klein : Illustrer les Pensées de Pascal. Il parut également nécessaire au peintre de « donner quelques explications pour aider les futurs lecteurs de l'ouvrage à pénétrer le caractère un peu mystérieux des illustrations qui accompagnent le texte pascalien ». Gleizes, non seulement fera part de sa recherche et de son évolution au cours de la construction du projet, mais avant tout donnera les clefs de la pensée de Pascal, clefs sans lesquelles son travail - qui durera près de deux ans ! - ne peut être véritablement apprécié. Il n'est pas rien de constater que l'itinéraire spirituel d'Albert Gleizes offre avec celui de Pascal une si merveilleuse correspondance.

Légende photo 1. Manuscrit original d’Albert Gleizes de 2 pages numérotées (sur feuilles libres à petits carreaux), intitulé « Illustrer Les Pensées de Pascal ». Ce texte original est paru dans le journal Arts/Beaux-Arts en date du vendredi 24 mars 1950. Ce texte de toute première importance a été repris dans de nombreuses publications ultérieures et notamment, dans sa quasi-intégralité dans le catalogue raisonné de l’artiste (« L'oeuvre complet », par Anne Varichon, volume II, Ed. Somogy, 2006). Sous le titre de parution « Pourquoi j'illustre les Pensées de Pascal », voici, retranscrit ici, l'essentiel de ce texte : Lorsqu'on me proposa de tenter l'illustration des Pensées de Pascal, je comptais accompagner exclusivement le texte d'ornements non figuratifs, trouvant là l'occasion de mettre en évidence ce que m'avaient appris des années de recherches et de méditation sur la réalité de la peinture. Statique, le dessin figuratif convient au spectacle ; le dessin non figuratif est actif, il entraîne la mesure dans la cadence aux fins du rythme, il convient donc parfaitement à l'accompagnement d'un texte aussi mobile et pénétré d'esprit que celui de Pascal. Mais en étudiant l'oeuvre sous un aspect différent, je ne tardai pas à me convaincre que, si entrelacs et arabesques devaient être le principe de son décor - décor : qui convient - je ne pouvais néanmoins pas me limiter à ne jouer que de subtilités linéaires. Le mouvement même de la pensée pascalienne est ponctué de figures qui sont comme des apparitions translucides le ralentissant à peine, toutefois qu'il est impossible de tenir pour vaines. Le voyage de Pascal n'est pas une divagation instituée, une rêverie sans départ et sans arrivée, c'est un itinéraire bien établi, d'avance reconnu et déterminé par un homme qui y veut avant tout son examen de conscience. Revenu des illusions sensibles, Pascal ne les dédaigne pas pour cela. Le pittoresque des images dont il use pour accentuer ou atténuer la misère de l'homme, sa grandeur, ses disproportions et ses contrariétés, il m'a fallu en tenir compte et le suggérer dans le lacis des ondulations de la pensée, sans cependant l'interrompre, images comme des signes figuratifs, soit, mais tout de même localisées et incarnées. Pascal pense, mais c'est Pascal qui pense, c'est le roseau tout d'abord nécessaire qui affirme ensuite le privilège de penser. On ne saurait dès lors, pour illustrer les Pensées, oublier cette présence qu'il nous rappelle sous une diversité de manière. Pascal, d'ailleurs, m'a confirmé ce que je faisais plus que pressentir depuis ce jour où, sous la dure et inflexible pression de l'analyse formelle, j'ai vu finalement s'évanouir le fondement de la notion plastique extérieure, l'immobilité trompeuse des apparences naturalistes. Pressentiment que ce qu'on appelait, sans en exactement définir le sens, peinture abstraite, non figurative, etc., aboutissement inévitable de l'usure du sujet, ne pouvait pas, ne devait pas éluder le problème de l'image. Loin d'être secondaire, ce problème est impératif. Une simple négation ne suffit pas pour le régler. C'est par sa solution que l'oeuvre se situe, s'identifie et qu'elle est, par conséquent, susceptible de s'étager logiquement du particulier jusqu'à l'universel. Cet étagement répond précisément à une montée vers le « réel » qu'est l'effort pascalien. Or l'image fixe, telle que nous y a accoutumé le rationalisme, est subjective, elle signale l'objet mais elle ne l'est pas ; qu'elle n'usurpe donc pas l'objectivité en supprimant l'action du dessin qui tend vers l'universel ; qu'elle éveille des rapports sensibles, figurés, mais qu'elle n'interrompe pas pour cela le mouvement vivant. Il faut que le but transcendant, objet absolu, devienne intelligible. Ceci implique, non pas une régression de l'image classique, devenue aujourd'hui académique, vers une stylisation géométrique arbitraire, mais une évocation imagée, au confluent pourrait-on-dire des lignes mouvantes, à l'entrecroisement de l'action formelle, comme il arrive fortuitement dans la forme d'un nuage ou d'une racine, notre mémoire alertée retrouve le souvenir de quelque figure sensible, ambiguë et analogique. Il n'est donc, pour donner au problème qui se pose sa juste et maniable solution, que de savoir faire volontairement ce que le hasard nous indique incidemment, c'est-à-dire suggérer un ralenti figuré, localisé, dans une croissance ininterrompue, non localisée. Je me suis efforcé d'y parvenir. Et lorsque Pascal m'en offrit l'occasion, ce qui advint souvent, je n'ai pas hésité à infléchir mes lignes cadencées et rythmiques de telle sorte qu'elles éveillassent certaines images appartenant, selon le cas, au pittoresque de l'existence journalière ou à une iconographie religieuse traditionnelle. [......] Mouvement de l'action, images, signes et symboles, tels sont les divers aspects sous lesquels se présente le travail de l'illustration des Pensées. Sa liberté y sera d'autant plus grande qu'il aura opéré, au cours de son existence personnelle, un redressement vivant de l'ordre pascalien. Car, si Pascal a su arracher de ses yeux les écailles qui les bloquaient, c'est l'homme en soi qu'il a éclairé. Tout individu, s’affranchissant de son moi, peut donc, comme Pascal l’a fait avec ses moyens propres, atteindre le principe de sa réalité qui est le « communis homo ». […..] Aurai-je mené à bien cette mission dont m’a chargé Jacques Klein, l’inspirateur des éditions de la Cigogne ? D’autres que moi le diront. J’aurai du moins subordonné à l’œuvre les intempérances auxquelles l’artiste d’aujourd’hui sacrifie un peu trop facilement à mon gré. Je me suis considéré le serviteur d’un livre, d’une œuvre à laquelle, depuis le fabricant du papier jusqu’au graveur, en passant par divers autres corps de métier, chacun apporte sa contribution aussi parfaitement qu’il lui est possible, et joue sa partie aux fins de réaliser un monument qui le contient et le dépasse. Albert Gleizes 2. Le titre et les sept premières lignes du texte écrit de la main de l’artiste. 3. La retranscription tapuscrite d’époque du texte, portant quelques modifications manuscrites au crayon (2 feuilles libres, non numérotées). 4. La une du journal Arts/Beaux-Arts (Littérature et Spectacle, Chroniques des arts et de la curiosité) en date du vendredi 24 mars 1950, publiant le texte pour la première fois : « Pourquoi j’illustre les Pensées de Pascal » par Albert Gleizes. La suite et fin du texte est en page 2. Le texte est illustré par la reproduction de la gravure « Croissance et décroissance de l'être », gravure de la page 103 de l’ouvrage. Le directeur de cet hebdomadaire parisien d’alors - qui parait tous les vendredis - est Georges Wildenstein.

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